À force de vouloir tout calculer, certaines entreprises oublient que les marques ne sont pas faites de chiffres, mais de chair et d’âme. On appelle ça le ROIsme : cette manie de réduire chaque geste marketing à un retour sur investissement immédiat, comme si l’émotion pouvait se loger dans une cellule Excel.

Mais une marque n’est pas un tableau comptable. Elle vit dans l’imaginaire collectif, elle se nourrit de récits, d’instants partagés, de petits frissons qui ne se mesurent pas. À force de vouloir rationaliser la magie, on finit par la faire disparaître.

Nike en est devenu le symbole. En janvier 2020, sous la direction de John Donahoe, l’entreprise a choisi de réorganiser ses équipes et de miser massivement sur le digital. Entre 2019 et 2023, le budget marketing s’est inversé : 60 % consacré à la marque et 40 % à la performance en 2019, contre 20 % pour la marque et 80 % pour la performance digitale en 2023. En parallèle, Nike a réduit de 35 % ses contrats athlètes et de 40 % son sponsoring d’événements sportifs, des choix qui ont affaibli son image émotionnelle.

Les chiffres parlent : les ventes directes (Nike Direct) sont passées de 30 % du chiffre d’affaires en 2019 à 44 % en 2023, mais avec un coût d’acquisition client en forte hausse et une marge brute qui s’est érodée de 45,6 % à 43,5 %. Le 28 juin 2024, la sanction tombe : Nike perd 25 milliards de dollars de capitalisation en une seule journée, sa pire séance boursière de l’histoire.

Et Nike n’est pas seul. Allbirds, valorisée 4 milliards lors de son entrée en bourse en 2021, ne vaut plus que 90 millions en 2024, une chute de –97 %Glossier, après avoir juré que son avenir était 100 % digital, a dû rejoindre Sephora en 2023 pour survivre. Casper, valorisée 1,1 milliard lors de son IPO en 2020, a été rachetée seulement 286 millions un an plus tard. Dans chaque cas, le constat est le même : quand le coût d’acquisition grimpe plus vite que la valeur créée, le modèle finit par se fissurer.

Le ROI est utile, bien sûr. Il éclaire, il guide, il rassure. Mais il devient dangereux lorsqu’il se prend pour le capitaine. Une marque ne se construit pas seulement avec des conversions, mais avec des convictions. Le véritable retour sur investissement, ce n’est pas un clic. C’est ce moment où un client dit : « Je ne peux pas imaginer ma vie sans cette marque. »

L’agence TUKA refuse que l’âme des marques soit sacrifiée sur l’autel du calcul. Notre rôle n’est pas de courir derrière les chiffres, mais de créer des histoires justes, de bâtir des liens sincères, d’accompagner des visions durables. Parce que la performance sans émotion n’est qu’un sprint, alors qu’une marque qui inspire court un marathon.